L’Europe envisage un euro numérique, mais quand vous décidez d’inclure un partenaire américain comme Amazon, ça fait grimacer du monde. Explications.
Depuis plusieurs années, l’Union européenne et la Banque centrale européenne (BCE) réfléchissent à un euro numérique. Et cela se concrétise de plus en plus, car le 16 septembre 2022, on a vu les 5 partenaires qui seraient les piliers de cet euro numérique. Vous avez l’entreprise italienne Nexi spécialisée dans les paiements électroniques, CaixaBank, une banque espagnole, Worldline, une plateforme française pour sécuriser les paiements, l’IEP (Initiative Européenne pour les paiements) et enfin, le dernier qui est Amazon qui s’occupera des paiements avec l’e-commerce. Si 4 des 5 partenaires sont européens, la présence d’Amazon a de quoi faire sourire et grimacer en même temps.
La souveraineté monétaire de l’euro numérique
L’euro étant une monnaie émise dans la zone euro par les différents pays membres, il est étrange de voir un acteur américain alors qu’on parle ici de la souveraineté monétaire. Les GAFAMs représentent un gros problème juridique en Europe. Ils respectent principalement la loi américaine et quand il y a des litiges ou autre, alors ils se réfugient derrière la législation de l’oncle Sam.
De plus, l’Europe s’est déjà trop compromise avec les GAFAMs, notamment sur les données personnelles. Malgré le RGPD, les grands groupes américains font ce qu’ils veulent. Il y a eu des accords pour la gestion des données personnelles entre les États-Unis et l’Europe et on peut citer le Safe Harbor suivi du Privacy Shield. Mais ces accords étaient surtout de vraies passoires, car les entreprises américaines avaient trop de liberté pour l’exploitation des données personnelles tandis que leurs homologues européens suivaient une législation stricte. Cela a donc créé une concurrence déloyale.
Le Privacy Shield a été invalidé par la Cour de Justice de l’Union européenne sous le motif qu’il n’offrait pas une protection suffisante. Ainsi, depuis 2020, les données personnelles des Européens naviguent en roue libre. En mars 2022, l’Europe annonce un nouvel accord, mais on ignore ses modalités.
La violation de vie privée sur l’euro numérique
Amazon détient le monopole occidental de l’e-commerce. Et on ne compte plus les abus et les violations qu’il a fait pour avoir ce monopole, notamment pour détruire ses concurrents européens. Le fait de l’intégrer dans un euro numérique lui permettra d’avancer ses pions pour que la société préserve son avantage concurrentiel. La question se pose, car il y a suffisamment d’entreprises d’e-commerce en Europe pour éviter de faire appel à Amazon.
L’Europe se veut rassurante en se défendant qu’elle veut simplement utiliser l’expertise d’Amazon pour améliorer l’intégration de l’euro numérique avec l’e-commerce. Mais encore une fois, des groupes européens peuvent le faire sans aucun problème. Et malgré les garanties offertes par l’Europe en disant que l’euro numérique ne posera aucun problème de vie privée, on est loin d’être rassuré. Et pour ça, on va résumer simplement ce qu’est un euro numérique.
Le principe de l’euro numérique
En premier lieu, on peut douter de la pertinence même de l’euro numérique. Sa définition, par la BCE, est que l’euro numérique est équivalent à l’euro classique. Il servira surtout à faciliter les paiements électroniques et à dynamiser le secteur de la Fintech. Les taux d’intérêt, qui y seront adossés, resteront très faibles pour éviter qu’on l’utilise comme un placement financier.
Selon l’Union européenne, l’euro numérique servira surtout à faciliter les paiements au quotidien des Européens. Mais il y a un gros hic, car c’est déjà le cas avec l’euro classique. 95 % des paiements en Europe se font par moyen électronique que ce soit des cartes de paiement, du NFC ou des paiements par mobile. On est très loin de l’époque où chaque Européen devait se trimballer avec du cash dans son portefeuille ou son sac.
Les inconvénients de l’euro numérique
Mais évidemment, le diable se cache dans les détails. Car l’euro numérique ne sera pas émis comme une monnaie classique. Aujourd’hui, chaque Banque centrale des pays de la zone euro émet les euros dans son pays respectif. Ce sera aussi le cas pour l’euro numérique, car la BCE n’émet pas de monnaie. Sauf que l’euro « normal » est une monnaie classique tandis que l’euro numérique est une cryptomonnaie de banque centrale (CBDC).
La différence est subtile, mais colossale. Le cash est anonyme par nature. Si quelqu’un vous donne un billet de 100 euros, alors il vous est impossible de savoir l’historique de ce billet. Vous ne pouvez pas savoir ce que ses anciens propriétaires ont acheté. Ils ont pu faire leurs courses avec ou acheter des produits illégaux. Une cryptomonnaie n’est pas anonyme, mais pseudonyme. Dans le sens où vous pouvez masquer votre identité, mais chaque cryptomonnaie est associé à une transaction. Cela signifie qu’on peut retracer tout l’historique d’une cryptomonnaie depuis sa création.
Une CBDC n’est pas une cryptomonnaie, car on n’a pas besoin de la miner. Les banques centrales en Europe vont l’émettre comme c’est le cas avec l’euro classique, mais elle ne sera pas totalement anonyme. L’Europe nous assure qu’il n’y aura aucun moyen d’identifier les utilisateurs, mais elle n’a pas précisé sur l’anonymat de la transaction.
L’euro numérique n’est pas nécessaire, car l’euro classique possède déjà toutes ses qualités de monnaie virtuelle et électronique. Ce qui fait que si on veut l’imposer quand même, alors il y a quelque chose qui se cache derrière et c’est souvent une violation de la vie privée des Européens. Et l’arrivée d’Amazon dans ce projet n’est pas un hasard. Car en termes de surveillance et d’algorithmes qui peuvent cibler finement les utilisateurs, il n’y a pas mieux. Il suffit de voir le succès de son site marchand.
La tendance des CBDC
On pourrait arguer que la BCE suit la tendance des autres grandes banques centrales dans le monde. Tout le monde veut émettre des CBDC, mais c’est surtout pour singer le succès des cryptomonnaies comme le Bitcoin ou l’Ether. De plus, les autres banques ont des raisons objectives d’avoir une CBDC. La banque centrale chinoise a lancé son yuan numérique qui servira pour les paiements internationaux. De plus, on connait l’autoritarisme technologique de la Chine et on ne va pas suivre son exemple…
La Russie envisage les cryptomonnaies, mais c’est surtout pour contourner les sanctions. Et elle veut utiliser l’Ethereum, mais uniquement pour les paiements internationaux. Elle interdit toute monnaie qui peut concurrencer son rouble. Dans le cas de l’euro numérique, on ne voit pas la nécessité quel que soit l’angle qu’on prend.
La simple annonce de l’euro numérique a créé beaucoup de remous au sein des différents pays. Et le fait qu’on invite un géant américain comme Amazon à la table ne va qu’alimenter les suspicions les plus diverses sur l’exploitation de cette monnaie pour empiéter sur la vie privée des citoyens européens.